Bon ! Il est temps de parler un peu de mythologie Celte. Je vous parle de fêtes païennes à tout va, mais je n’ai pas encore dit mot sur les dieux et déesses qui les ont inspirées. J’ai proposé, vous avez voté, aujourd’hui, à l’approche de la belle fête de Lugnasad, je vous parle du lumineux dieu Lug / Lugh / Lugus. En plus c'est franchement mon préféré, donc vous l’aurez voulu, préparez votre prononciation Gaélique.
Disclaimer : Je m’excuse profondément si j’ai oublié des accents à certains noms celtes, ou inversé des lettres.
Pour vous faire ce bel article je me suis penchée sur les légendes Celtes, et je peux vous confirmer que comme dans toutes les mythologies, c’est quand même bien le bordel. Surtout que dans cette histoire, pour chaque personnage et événement, il y a un doublon chez les gaulois qui fait tout pareil mais avec des noms différents. On va donc se concentrer sur les celtes, et surtout sur les celtes d’Irlande pour parler de notre merveilleux Lug. Pour que ce soir le plus clair possible, je vais avant tout vous expliquer comment le panthéon fonctionne, et je vais essayer de faire simple et concis (spoiler alert ça l’est pas du tout).
Petit contexte de mythologie Irlandaise
Pensez simplement que pour les Irlandais, la société divine est structurée de la même manière que la société humaine. On trouve aux origines de cette société deux tribus rivales :
Les Tuatha Dé Danann ou les Gens de la tribu de Dana (oui je vous entend chanter). Leur tribu est hiérarchisée en trois classes fonctionnelles (sacerdotale ; laborieuse ; guerrière. Basiquement les druides/musiciens, les paysans et les bourrins). Le roi représente la société et tout s’articule autour de lui. Le dieu-roi à la base c’est Dagda, il est magnifique puissant fort et surtout très ancien, et il a un gros gourdin. Il y a un dieu (donc un membre de tribu) pour chaque classe et pour chaque art. Eux, ce sont les gentils.
Les Fomoires, ce sont les méchants, ils vivent dans “l’autre monde”, c’est à dire en Scandinavie. J’ai pas tout pigé à comment s’organise leur société, mais je sais qu’on les aiment pas trop parce qu’ils viennent piller les vaches des Tuatha Dé Danann, qui se sont plus ou moins soumit à leur courroux.
Ok maintenant on peut parler de Lug.
Qui est Lug ?
Vous avez peut être déjà entendu ce nom, et si c’est le cas ce n’est pas pour rien. Lug est un dieu majeur de l’Irlande, caractérisé par ses très nombreux talents et sa nature solaire. Il se place lui-même en chef du panthéon Celte, et surtout, il a laissé son nom à pas mal de villes en Europe, notamment à Lyon (Lugdunum) qui signifie littéralement “Forteresse de Lug”.
Pourquoi est ce que ce dieu est si balaise ? Et bien c’est parce que contrairement aux autres, il ne se contente pas de faire partie d’UNE classe (rappelez vous : sacerdotale guerrière et laborieuse). C’est un dieu complet, il a tellement de talents qu’il est en réalité rattaché aux trois. Ça fait aussi de lui un protecteur des arts.
D’où lui vient son nom ?
Son nom apparaît d’abord dans l’épigraphie sous la forme de “Lugus”, et les spécialistes se disputent comme toujours la signification de ce mot. L’interprétation la plus convaincante serait que Lugus veuille simplement dire “le lumineux” (leu-g veut dire lumière, donc ça parait pas idiot). Partant de là on va lui trouver tout plein de surnoms : “celui qui brille” ; “soleil” ; “le lumineux” ; “face de soleil” ; “l’éclairé”... Fin vous avez compris le délire.
Dans les textes, vous le trouverez souvent sous ces trois appellations :
Lugaid Samildanach « doués de multiples talents (polytechnicien) »
Lamfada « long bras »
Lonnbéiminach « qui donne des coups forts ou violents »
Pour comprendre d’où lui vient ce nom il n’y a qu’une seule solution, il faut s’intéresser à sa légende, à ses faits héroïques ! Ça tome bien, c’est ma partie préférée.
Histoire et légende
Si Lug est si particulier c’est parce qu’il est issu d’un beau métissage, un métissage entre un membre des Thuata Dé Danann et une membre des Fomoires. Genre comme si Roméo & Juliette avaient fait un bébé au lieu de mourir connement.
Naissance et enfance
Sa mère biologique est d’Eithne, fille de Balor, le roi des démons Fomoires ; et son père est Dian Cecht, dieu médecin des Thuatha Dé Danann. (Une autre généalogie le présente comme le fils de Dagda, le roi des TDD).
Balor était très prudent quant aux fréquentations de sa fille, car selon une prophétie, il serait tué par son petit-fils. Il a donc fait la chose la plus naturelle qu’on puisse faire dans ce cas là et a enfermé Eithne dans une tour bien gardée. Néanmoins, Dian, grâce à sa cape d’invisibilité parvint à s’introduire dans la forteresse (et dans Eithne hehehehehehe). Elle accoucha de plusieurs enfants, que Balor fit noyer à la naissance. Lug fût épargné et ramené à son père, qui le confia immédiatement en apprentissage à son frère Goibniu, forgeron des Thuata Dé Danann, où il reçut le nom de Lug.
Il eut au cours de son enfance 3 précepteurs : le forgeron Goibniu donc ; la déesse Tailtiu (reconnue comme la déesse de la terre d’Irlande) ; le dieu de l’océan Manannan (qui lui fit dont d’armes merveilleuses). Ça ne pouvait que donner un mec qui pue la classe.
Malheureusement, sur l’enfance de Lug, on ne sait rien de plus. Les textes anciens irlandais sont très rares, il faut donc se référer aux légendes galloises. Mais je vais pas le faire.
La cour de Tara et la bataille
Une fois en âge, Lug veut rejoindre les Tuatha Dé Danann, réunis à la cour royale de Tara pour une fête. Le portier l’arrête et lui dit que seuls les gens possédant un art sont admis (rappelez vous, il y a un dieu pour chaque art).
Lug fait alors démonstration de toutes ses compétences : charpentier ; champion ; échanson ; médecin ; poète ; historien ; sorcier ; harpiste ; forgeron ; bronzier... Mais à chaque fois, le portier lui répond que la cour possède déjà un membre pratiquant ce métier. Il lui demande alors de prévenir le roi et de lui dire que si quelqu’un d’autre à la cour possède la connaissance de tous ces arts réunis, il renoncera à entrer.
Curieux et surpris, le roi Nuadu le laisse entrer et les dieux lui imposent trois épreuves pour être sur de sa valeur :
Faire une partie d’échecs contre le roi
Lancer une pierre sacrée « que huit chevaux ne peuvent remuer »
Jouer les trois mélodies avec sa harpe (réussir à faire rire, pleurer, et endormir l’assemblée).
Lug remporte aisément les épreuves et ses aptitudes sont reconnues par le roi Nuadu, qui lui laisse même son siège pendant la bataille contre les Fomoires, mais refuse de le laisser participer à la guerre. Il ira jusqu’à l’enivrer et le lier avec des chaînes pour l’empêcher d’y aller, de peur que celui ci, trop jeune, ne se fasse mettre à mal durant la bataille (et pour pouvoir triompher sans son aide).
Lug arrive évidemment à s’en défaire, échauffé par le tumulte des combats. Il se jette dans l’action encore embarrassé de ses chaînes. Au combat, il se révèle remarquable stratège, capable de prévoir le moment propice pour attaquer et massacrer l’ennemi. Il est aussi excellent orateur et ses paroles galvanisent les guerriers. Perso je suis déjà amoureuse.
« il s’élança en courant pour rattraper l’armée, et sa course causait un énorme vacarme à cause des lourdes chaines métalliques [qu’il traînait] et des chocs des grands piliers en pierre contre le sol rocailleux qui produisait des étincelles telles qu’elles auraient illuminé la nuit la plus noire comme en plein jour » (B. O Cuiv, Cath Muihge Tuireadh, Dublin, 1945, pp21-23)
Je ne résiste pas non plus à vous parler d’un autre de ses combats, celui contre Eochaid Breas (qui, si j’ai bien compris, est le fils de Balor et donc le frère de la mère de Lug et donc son oncle....), bref, un Fomoire, qui partait en guerre pour tuer Lug après que celui-ci est assassiné des collecteurs d’impôts venus prélever de l’argent et des vaches à la cour de Tara, voulant mettre fin à la soumission des Dannan. Eochaid prend alors sa flotte et pars en mer, ravageant les côtes. Voyant Lug arriver pour lui latter la gueule, il se lève et dit :
« c’est bizarre, le soleil se lève à l’ouest aujourd’hui alors qu’il se lève à l’est tous les autres jours… Qu’est ce que cela ? » les druides répondirent « c’est l’éclat du visage de Lugh Lamhfhada. »
Dans sa grandeur et sa magnificente luminosité, Lug épargne Eochaidh Breas en échange du secret des labours et des cultures à transmettre aux hommes.
Vous l’aurez compris, jeune, beau et puissant, Lug prend ainsi le contrôle de la tribu, et supplante l’ancien dieu-roi Dagda avec sa massue, plus archaïque, représentant de l’ancienne culture. Il devient chef des Danannéens.
L’affrontement de son passé
Les Danannéens remportent les batailles, mais toujours pas la guerre. Pour mettre fin au conflit, Lug doit affronter son grand-père, Balor, le roi des Fomoires à la bataille de Mag Tured. Le seul moyen de vaincre ce puissant démon est de crever son œil unique (maléfique), que celui-ci protège en le gardant toujours fermé (pratique). Lug doit donc ruser. Il se met à lui parler (on ne sait pas de quoi), et si bien que Balor demande à ses serviteurs qu’on soulève sa paupière afin qu’il voit à qui il a affaire (oui ça serait un géant, c’est pour ça qu’il a besoin d’un coup de main pour soulever sa paupière). Lug attrape son arme fabriquée par Goibniu (selon les versions une balle de fronde ; un javelot ou une barre de fer incandescente) et crève l’œil. Balor, blessé, essaie de s’échapper mais est rattrapé par Lug qui l’achève avec sa javeline à cinq pointes et le décapite. Histoire d’être sur.
Une super animation si vous n'avez pas peur de l'accent irlandais.
La mort tragique des enfants de Tuireann : la mort de Lug
Un autre mythe raconte comment Lug se venge des trois fils de Tuireann, les meurtriers de Cian (son père). Plutôt que d’exiger leur exécution, il leur dit qu’il leur accordera le pardon si ceux-ci lui apportent trois pommes, une peau de porc, une lance, deux chevaux, un char, sept porcs, un jeune chien, une broche à rôtir et trois cris sur une colline, autant d’objets se trouvant aux quatre coins du monde. Cette mission les mènera à la mort, et lorsqu’ils se retrouvent blessés en trouvant les trois cris, et que Lug, seul à pouvoir les guérir, refuse de le faire et les laissent mourir de leurs blessures.
La mort de Lug résultera elle aussi d’une vendetta. Il épouse plusieurs déesses (Echtach ; Englig ; Nas ; Bui), mais l’une d’elle le trompe avec Cermaid, le fils du Dagda. S’en suivra une série de représailles au terme duquel Lug le tuera, et se fera plus tard tuer par ses fils par vengeance. Classique, il fallait le voir venir.
D’ailleurs, Lug est souvent présenté comme trompé par son épouse. Le nom de l’épouse en question est même assez drôle : Einghleic, signifiant littéralement « (objet de) querelle d’oiseaux ».
Dans l’épopée Irlandaise, Lug est le père de Cu Chulainn, le grand héros d’Ulster, auprès duquel il intervient pour l’aider dans son aventure. Mais c’est une autre histoire.
Attributs et apparence physique
Sa capacité d’adaptation est infinie (charpentier, forgeron, aubergiste, guerrier, poète, devin, médecin, métallurgiste, échanson, magicien….) aussi, ses attributs et visages sont très variés.
Les plus représentatifs sont :
La lance qui ne rate jamais sa cible. Elle serait faite en bois d’if et fonctionnerait comme un boomerang.
la harpe qui peut jouer seule tous les airs.
le sanglier, animal de l’autre monde et représentant inaccessible de la sagesse spirituelle.
la fronde (proche de la lance).
La lance à cinq pointes est son arme principale. Elle s’enflamme au contact de l’air et tue neuf hommes à chaque jet, dont un roi ou un chef. C’est la possession de cette arme qui lui vaut le nom Lamfadha (à la main longue).
Sa parure comporte également un bouclier noir comme les guerriers bretons du haut Moyen Âge, et il est habillé d’une tunique rouge que recouvre un manteau vert, retenu sur la poitrine par une broche d’argent. Il est souvent représenté accompagné de corbeaux (animaux solaires) ou d’un Sanglier, et parfois présenté comme un dieu triple (aux trois visages).
On le décrit jeune, grand, beau aux cheveux blonds et bouclés. Parfois crane demi rasé (tonsure druidique), parfois « blond roux et bouclé comme Apollon ». Il revêt à la fois le visage de jeune homme imberbe et d’homme mur à la barbe fournie, on peut donc comprendre qu’il prenne parfois trois visages.
Autres assimilations
On retrouve Lug un peu partout en Europe dans les temps anciens, sous d’autres noms et d’autres traits, mais il est facile de l’identifier.
Chez les Gaulois on le connait sous le nom de Lleu (Llew Llawgyffes « a la main agile »). La légende Gauloise nous aide d’ailleurs à combler le manque de sources Irlandaise, bien que son histoire soit légèrement différente.
Chez les gallo romains il est assimilé à Mercure notamment par Jules César, qui le qualifie « d’inventeur de tous les arts ». Il s’enrichira donc à cette période des qualités et qualificatifs de ce dieu : le voyageur, le puissant bienfaiteur, le visionnaire, l’averne… Son culte semble avoir disparu dès la conquête romaine, sûrement à cause de cette assimilation d’ailleurs. Il est aussi rattaché aux divinités solaires comme Apollon.
« le dieu qui est le plus couramment vénéré est Mercure : ce sont ses représentations qui sont le plus nombreuses. Les Gaulois le tiennent pour l’inventeur de tous les arts, il est aussi pour eux celui qui indique la route à suivre et qui sert de guide, celui aussi qui est le plus à même de faire gagner de l’argent, de faire prospérer le commerce. » (L.A. Constans, César. Guerre des Gaules, Paris, 1926, pp. 188-189)
Il est aussi connu dans l’hagiographie bretonne sous l’apparence d’un démon nommé Huctan, qui se présente comme un irlandais doué de nombreux talents.
Il présente des traits communs avec Loki et Odin dans le panthéon Scandinave.
On retrouve une version moderne du dieu sous les traits de Llwch Llawwynawe dans les récits Arthuriens primitifs, où il aide Arthur à s’approprier le chaudron d’Annwn. J’ai l’impression d’avoir tapé n’importe quoi sur mon clavier pour écrire ce nom.
Chez les chrétiens j’ai lu qu’il pourrait être connu sous les traits de l’Archange Michel, chef des armées célestes (de nos jour saint patron des Celtes). Il présente également des similitudes avec Lucifer, mais je suis moyennement convaincue de cette assimilation.
Lug aux liens
Vous vous souvenez du passage de Lug avec ses chaines qui part au combat ? Bon, bah parfois, on assimile donc à un dieu “aux liens” ou un dieu “lieur”. Il se trouve que le 1er août, fête de Lugnasad (en l’honneur de Lug) coïncide avec la fête chrétienne de saint Pierre aux Liens. Ça expliquerait pas mal de représentations où on trouve la présence de chaines.
Mais ça explique aussi la présence de chaines sur certaines représentations qu’on osait pas attribuer à Lug, et qu’on peut maintenant faire grâce à une belle analyse de D. Gricourt et D. Hollard sur cette pendeloque, que je met en source pour les curieux. On peut voir que les jambes du personnage se transforment en lyre, attribut majeur du dieu.
Voilà ! C’était très long, mais pour une fois que les sources abondent sur un sujet, j’avoue m’être vraiment amusée pour faire ces recherches ! J’espère ne pas vous avoir perdu en route. Si vous avez d’autres informations, ou même que vous êtes artistes et que vous voulez me faire une belle illustration pour l’article (parce que pour un dieu “très représenté”, c’était plutôt difficile de trouver des images!), comme toujours, je prend.
Sources :
- Dieux Déesses Démons, J.-B Patrick (dir), Paris, 2016
- Mythologie du Monde Celte, Claude Sterckx, Marabout, 2009
- Légendaire Celtique, D. Kervella et E. Seure Le Bihan, Spézet, 2001
- Dictionnaire de mythologie celtique, J.-P. Persigout, Paris, 2009
Pour en savoir plus, allez voir les récits de :
La Bataille de Mag Tuired
La Cenception de Cu Chulainn
Dindshenchas
La Frénésie du fantôme
Lais de Finn
Le Livre des conquêtes de l’Irlande
La Mort tragique des enfants de Tuireann (raconte le meurtre du père de Lug et sa vengeance sur les meurtriers.)
La Razzia des Vaches de Cooley
La Bataille de Moytirra (texte relatant des aventures de Lug). Sa version la plus ancienne est contenue dans un manuscrit du XVe siècle, mais le texte est très archaïque et on a des preuves qu’il était connu avant le Xe siècle.
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