Et oui, c’est fini la fête, Lugh et tout ça, on retourne aux mythes sordides et pas très conventionnel (tu me diras, si la convention c’est les multiples aventures de Zeus...). Aujourd’hui je vais vous parler d’un mythe que l’on ne raconte pas tous les jours. En effet, il fait parti de la riche mythologie tzigane qui a fait l’objet de multiples études qui ont été rassemblés par le génialissime Claude Lecouteux ( le meilleur des meilleurs). Mais la mythologie tzigane, ça consiste en quoi? Et bien, c’est très riche. Entre les mythes expliquant le pourquoi du comment de la vie des tziganes, il y a aussi un panthéon, des divinités tutélaires, des créatures fantastiques, des lieux merveilleux, un au-delà pas franchement réjouissant et des mythes symboliques. Parmi ces histoires, on retrouve l’origine des maladies et on est très loin du gentil mythe de la boite de Pandore, chez les tziganes, on est hardcore! Mais avant toutes choses, posons le décor.
Kezako la kesalyia?
Aujourd’hui on va s’intéresser à l’origine des maladies, qui ont en fait toutes la même origine: la reine des kesalyia, Ana. Ces sortes de fées sont des esprits aériens vivant dans des palais de diamants et d’or cachés aux yeux des mortels. Généralement, elles font office de bonnes fées, favorisant certains enfants. Elles peuvent aussi avoir des relations avec des humains, mais ces dernières se finissent toutes par la mort du nourrisson et de l’amant. Tous les jours, elles doivent se rendre chez Ana pour lui donner à boire une goutte de leur propre sang. Pourquoi? Parce que sinon la reine meurt et les loçolicos viendront les dévorer.
A l’opposé : les loçolicos
Si les kesalyia sont plutôt bonnes (même si Ana peut s’amuser à fracasser la tête d’humains perdus en montagne) et jolies à regarder (yeux verts luisants, longue chevelure merveilleuse), les loçolicos, quant à eux, sont à la base des êtres humains transformés par le diable. Hideux, poilu et difformes, ils passent leur temps à montrer leur force, enlever des jeunes filles pour faire des choses pas très catholiques et surtout mortelles. Ils ont un roi et c’est celui-ci qui va déclencher les événements qui nous amènent à notre histoire.
Une histoire d’amour???
Tout commence quand le roi des loçolicos, hideux comme pas possible, devient amoureux de de la magnifique reine Ana. Complètement repoussé par sa laideur, cette dernière refuse catégoriquement une union avec le démon. Le roi accepta finalement et rentra chez lui. Fin de l’histoire. Bien entendu, ça se passe pas comme ça, le roi fit le choix (logique?) de dévorer quelques kesalyia pour forcer Ana à l’épouser, épargnant ainsi ses sujets. C’est là que le cauchemar d’Ana commence. Ne voulant pas consumer cette union (et avec raison) Ana résiste tant bien que mal, jusqu’à ce que le Roi, suivant les conseils d’un crapaud doré (d’où il vient, on en sait rien), endort la reine à l’aide d’ingestion de cervelle de pie (pourquoi pas). Bon je vous fait pas un dessin, ce qui arrive à Ana dès qu’elle s’endort, vous vous en doutez...
Le premier né et sa femme
C’est ainsi que nait le premier des enfants bizarres de ce couple: Melàlo “le sale”. Alors qu’est ce que ça donne l’union d’une fée et d’un démon? Un oiseau à deux têtes. Oui, c’est comme ça. C’est le démon provoquant la folie, incitant au meurtre et au vol, ses ailes répandent une poudre soporifique qui rend fou au réveil. Ça commence bien, accrochez-vous, y’en a neuf des gamins.
L’oiseau de malheur ne veut pas rester célibataire longtemps et sa mère (par pitié?) lui dit de faire cuire un poisson dans du lait d’ânesse et de verser le lait dans son vagin et neuf jour plus tard, il aurait une petite sœur/femme (c’est comme ça chez les démons des maladies). Lili la boueuse est ainsi née. Poisson à tête humaine, elle provoque la toux, la diarrhée et bien d’autres choses pas très folichonnes.
Melàlo, le fouteur de m....
Melàlo ne s’arrête pas en si bon chemin et conseille à son père de manger une écrevisse et un scarabée avant de coucher avec sa captive. Tçulo le gros, sorte de boule de piquants, roule à l’intérieur des corps et provoque des douleurs dans le bas-ventre, jusqu’à provoquer la mort des femmes en couches.
Bien sûr il lui faut une femme à celui-là aussi, et c’est Tçaridyi la brûlante, vermisseau poilu qui rempli cette fonction en plus de donner la fièvre puerpérale aux femmes... super. Quand ce couple se dispute, cela provoque la mort des femmes en couches. Aussi, les femmes enceintes évitent la consommation d’écrevisse pour ne pas les attirer et lors de la fête de l’Immaculée Conception, un rituel accompagné de prières à lieu afin d’apaiser les deux démons à l’aide d’offrande d’omelettes mordues par les participantes.
Les malheurs d’Ana
Décidément, Melàlo ne peut plus s’arrêter! Il veut encore plus de frères et sœurs! La solution: demander à son père de cracher sur une souris et de la placer dans la soupe de la reine des fées. Apparemment ça passe inaperçu (en même temps, au royaume des loçolicos, la gastronomie ça doit pas casser des briques) et Ana mange la soupe. Elle tombe malade et au moment de réclamer de l’eau, une souris aux nombreuses pattes surgit de sa bouche. Prise de fièvre, Ana doit subir sa nouvelle fille en train de crapahuter sur son corps, lui donnant des frissons glacials. La fée maudit son enfant en lui donnant le nom de Shilali (la fièvre/ la froide). Il existe plusieurs charmes pour guérir la fièvre en la bannissant dans l’eau ou un arbre comme celui-ci:
“Fièvre, éloigne-toi de moi, Eau je te la donne! Tu ne m’es pas chère, Donc va-t’en d’ici, Retourne là d’où tu viens, Là où l’on t’abrite, Là où l’on t’aime! Mashurlado, aide!”
Ne voulant pas laisser sa sœur sans époux, Melàlo donne à l’un de ses parents (ce n’est pas clair lequel) de l’ail trempé dans sa propre urine. On est plus à une recette bizarre près et de l’union accompagné d’ail aromatisé né Bitoso, le jeûneur. Ce petit ver polycéphale est le responsable des maux de tête, des maux d’estomac et du manque d’appétit. Comme tous les autres couples de démons, ils ont des enfants, qui ont généralement les mêmes pouvoirs que leurs parents sans être aussi puissant. On connait Serkulo, l’enfant de ce couple, maître des crampes des mollets. Pour se protéger de Bitoso, on prend de l’ail dans de l’eau de vie (ça vous rappelle quelque chose?) et on prononce ce charme avant et après avoir bu:
“Ô enfants de Bitoso, Ô enfants du mal, Votre grand-mère, Possède quatre simples, Possède bien des têtes d’ail; Je file chez elle! Je vous donne de l’ail Pour que la grand-mère vous aime, Et ne vous batte plus jamais!”
On dirait bien qu’à la maison, mamie en a un peu ras-le-bol de la marmaille démoniaque, et ce n’est pas près de s’arranger.
Ana commence à en avoir marre
Après six enfants démoniaques, la reine des fées, super contrariée par ces naissances, développe une éruption cutanée. C’est pas joli à voir, mais ça doit faire stresser entre toutes les recettes abominables mises au point par son ainé, plus les attaques du roi des loçolicos. Melàlo, soucieux pour sa mère ou voulant avoir une fratrie encore plus grande, lui conseille de faire lécher ses plaques par des souris. De cette façon, Lolmišo, la souris rouge, voit le jour. En passant la nuit sur le corps des dormeurs, il leur donne des maladies de peau. On peut se guérir en lavant la peau avec de l'eau tiède où l'on a fait bouillir des lentilles et en plaçant des tripes de chauve-souris dans le creux d'un arbre en disant : " Que vienne Lolmišo et dévore cet arbre aussi longtemps que vous y resterez!" Après avoir fait ça tous les matins, Lolmišo finit par en avoir marre de ronger l'arbre et se repose, soulageant la victime.
Quand je dis qu’Ana commence à en avoir marre, c’est le cas! Elle demande à Melàlo de trouver un moyen de la rendre stérile car c’est assez déprimant de donner naissance à autant de démons. Sur les conseils de son fils, elle se fait ensevelir sous une pile de fumier. Malheureusement, un scarabée bousier se glisse dans son vagin. De là, naît Minčeskre, “celle qui vient du vagin” selon certaines interprétations. Scarabée poilu, elle apporte la syphilis et les maladies de peau en passant sur les dormeurs. Avec Lolmišo, ils vivent heureux et ont beaucoup d’enfants donnant des pustules. C’est beau.
Le petit dernier de cette charmante famille
Enfin, il se passe quelque chose! Le peuple d’Ana, les kesalyia, se réveillent! Et oui, il leur a fallut attendre huit naissances pour comprendre que leur reine, et bien, elle n’était pas très heureuse de son union forcée d’avec le roi des loçolicos, ça alors!
C’est le moment d’agir. Avec des poils des chiens gardant les enfers, de poils de chats, elles conçoivent un gâteau qu’elles donnent à manger à Ana ou au roi selon les versions. De cette union naît le terrible Poreskoro. Avec quatre têtes de chiens, quatre têtes de chats, une queue de serpent et des ailes, il est tellement monstrueux qu’il traumatise le roi des loçolicos.
En effet, Poreskoro est le démons de la peste et du choléra. Il vit sous terre et s’il vient à retourner en surface, on peut être sûr qu’un grand malheur va arriver. La personne touchée par la première de ses têtes de chien meurt tandis que celui léché par la première de ses têtes de chat ne retrouve jamais la santé.
La fin du tourment (ou presque)
Même le roi démoniaque a peur de son enfant et de son terrible pouvoir. Aussi il décide de libérer Ana afin d’éviter d’autres cataclysmiques naissances. Cette libération ne se fait pas sans compromis et toutes les kesalyia ayant atteint 999 ans se doivent d’aller dans le royaume des loçolicos et il ne vaut mieux pas se demander ce qu’il leur arrive là-bas. Toujours est-il qu’Ana s’enferme dans son château et n’en sort que très rarement, sous la forme d’un crapaud doré. FIN. Hop hop hop, attend un peu, un crapaud doré? C’est pas un crapaud doré qui a donné les instructions au roi des loçolicos comment avoir des relations sexuelles avec Ana? WTF ANA?
Bibliographie:
- LECOUTEUX C., Dictionnaire de mythologie tzigane, Paris, 2016. - PAVELČIK N. et J., Myths of the Czech Gypsies, République Tchèque.
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