Cet été, j’ai eu la chance de travailler avec Philippe Legendre-Kvater, artiste de son état, pour la mise en place de son exposition sur les illustrations qu’il a réalisé pour son ami Claude Seignolle et son livre Marie la Louve. Très sympathique, Philippe Legendre-Kvater m’a donné permission d’illustrer cet article sur les meneurs de loups, personnages étranges du folklore français. On en retrouve des récits dans la Bourgogne, l’Auvergne et le Berry, histoires recueillies par des folkloristes mais aussi des écrivains comme Georges Sand. Nous allons nous attarder sur quelques définitions de l’homme pour ensuite s’attarder sur ses pouvoirs et sur l’aura mystérieuse qui l’entoure. Comme vous allez le voir, on passe du diabolique, au sorcier en passant par l’homme sauvage.
Le Berger fantastique
On ne va pas beaucoup s’attarder sur la définition du meneur de loups que donne Jacques Collin de Plancy, dans son Dictionnaire Infernal:
“Près du château de Lusignan, ancienne demeure de Mélusine, on rencontre de vieux bergers, maigres et hideux comme des spectres: on dit qu’ils mènent des troupeaux de loups. Cette superstition est encore accréditée dans quelques pays, entre autres dans le Nivernais.”
Jacquot, il ne s’est pas foulé et comme pour les trois quarts de ses entrées, le dictionnaire ne fait qu’une description sommaire et très critique du folklore (il faut la lire l’entrée sur les cathares, soit-disant baiseurs de cul de chat).
Bien que passé par le filtre déformé de Collin de Plancy (son dictionnaire mérite un article à lui tout seul), cette courte entrée rapproche le meneur de loup du spectre hantant un lieu spécifique, ici le château de Lusignan. Contrairement au berger habituel, le meneurs de loups est ici le gardien des loups. Il fait parti de la horde et se doit de les protéger. On les appelle aussi les “serreux de loups” car ils serrent les loups dans leur grenier pour les cacher lors des battues.
Le serviteur du Diable
Edmond Bogros, folkloriste, s’attarde sur le meneur de loups: “Au sorcier se rattache intimement le meneur de loups. Métamorphosé en loup lui-même à l’aide de quelque secret diabolique, qui le met en même temps à l’abri de l’atteinte des balles, il convoque son troupeau dans quelque sombre carrefour. Ses farouches protégés, assis en rond autour de lui et le fixant de leurs prunelles de braise, écoutent attentivement ses instructions car il parle de leur langage. Il leur indique les troupeaux de moutons mal gardés, ceux de ses ennemis de préférence, où la bande pourra faire une razzia fructueuse. Si une battue se prépare, il leur apprend par quels défilés de la foret ils pourront le mieux s’échapper, et il pousse même la sollicitude jusqu’à effacer leurs traces sur la neige de façon que, le lendemain, la meute du louvetier fait buisson creux, tandis que le garde-manger des rôdeurs s’est approvisionné de quelques brebis de choix.” Ici, le meneur est un sorcier, il a hérité ses pouvoirs du diable et s’apparente même au loup-garou. On leur attribue aussi d’autres pouvoirs comme le fait de se trouver à la fois dans leur lit et de batifoler dans la nature la nuit avec leurs amis les loups (la bilocation). Pour renforcer leur comportement étrange, on leur donne la capacité de parler une langue étrange pour communiquer avec les loups, certains rapprochant cela à des formules magiques permettant le contrôle des bêtes. On craint aussi les sorts qu’ils peuvent jeter sur les fermes et le bétail.
L’ermite aux loups
Georges Sand a été folkloriste à ses heures et s’est attardée sur le meneur de loups : “Ce sont des hommes savants et mystérieux, de vieux bûcherons ou de malins gardes-chasses qui possèdent un secret pour charmer, soumettre, apprivoiser et conduire les loups véritables... Je connais plusieurs personnes qui ont rencontré, aux premières clartés de la lune, au carroi de la Croix-Blanche, le père Soupison, surnommé Démonnet, s’en allant tout seul, à grands pas, et suivi de plus de trente loups.” Si dans “Les visions de la nuit dans les campagnes”, elle fait des meneurs de loups des lycanthropes, elle se ravise dans “Les légendes rustiques” en complétant son texte de témoignages divers mettant en scène des meneurs de loups et leur capacité à communiquer et se faire accepter des loups. Mais le meneur de loups est aussi une sorte d’ermite mystique qui rejoint parfois la civilisation. Il se rend dans les fermes et, accompagné de ses loups, se fait accueillir par les fermiers, qui, sans poser de questions, nourrissent l’homme et ses bêtes. Ce dernier mange dans la même gamelle que les loups, semblant faire partie intégrante de la meute. Certaines descriptions en font des gardes-chasse, des bûcherons, des propriétaires (vu qu’ils ont des greniers où cacher des loups), cependant les meneurs de loups semblent avant tout êtres des marginaux vivant dans la forêt. En Brenne, ils sont coiffés d’un chapeau à large bord et vêtu d’une blouse bleue. Jouant de la cornemuse, ils feraient danser leurs loups autour des châtaigniers. Si quelque chose revient constamment dans les récits sur les meneurs de loups, c’est qu’il ne faut jamais, JAMAIS, les contrarier. Il est impossible de leur refuser l’hospitalité, sous peine qu’ils lâchent leurs loups sur le bétail. Leur manquer de respect? Pareil, faut pas. En même temps quand un mec se pointe avec 30 loups derrière lui, c’est la dernière chose qui me viendrait à l’esprit.
Claude Seignolle le meneur d’histoires Claude Seignolle était un auteur prolifique dans le domaine du folklore. C’est d’ailleurs un de ses ouvrages, illustré par Philippe Legendre-Kvater, qui était exposé à Étampes. Décédé le 13 juillet 2018, il a laissé derrière lui une montagne de bouquin sur le folklore, une sacrée mine d’or! C’est sa grand mère qui va l’initier au monde des légendes et des croyances paysannes, le poussant à devenir un folkloriste et sauveteur des croyances paysannes du XXème siècle. C’est d’ailleurs sous les traits du meneur de loups qu’il est représenté sur son livre abordant le sujet, “Le meneur de Loups”. Sources :
ARZ Claude (dir.), A la découverte de la France mystérieuse, Paris, 2001. BRASEY Edouard, La France enchantée, Paris, 2011. BRASEY Edouard, La petite encyclopédie du merveilleux, Paris, 2007. COLLIN DE PLANCY Jacques, Dictionnaire Infernal, Paris, 1863. SAND Georges, Les légendes rustiques, Paris, 1858. SEIGNOLLE Claude, Le meneur de loups, 1996. SEIGNOLLE Claude, Marie la Louve, 1991.
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