Au détour de mon dictionnaire de l'occultisme et de la magie, je suis tombée sur une gravure étonnante. J'ai immédiatement eu envie d'en savoir plus, mais j'ai laissé de côté ces recherches, pendant bien trop longtemps.
Merci donc à Marc et au Podcast "De Tout et de Rien" de me forcer à reprendre mes pages marquées et mes onglets ouverts.
Je vais aujourd'hui vous parler du « charme d’engourdissement dont les voleurs faisaient usage pour dévaliser les maisons, sans être inquiétés. ». Comme ça, ça ne vous dis surement rien, mais je vous assure que vous en avez déjà entendu parler ou vu au moins une fois. Nous allons parler de la Main de Gloire.
La Main de Gloire, est, sans rentrer tout de suite dans les détails croustillants, une main de pendu momifiée qu’on utilise comme chandelier. C’est d’ailleurs de son aspect de chandelier que la « Main de Gloire » tiendrait son nom : Selon l’étymologiste Walter Skeat, le terme découlerait du mot « mandragore » car les deux seraient très proches phonétiquement (maindegloire > mandragore). On pourrait ne pas y voir d'autre rapport que la phonétique sans l'Herbarius de Pseudo-Apulée, un herbier d'origine grecque dont il est dit que « La mandragore brille comme une lampe dans la nuit ». On voit tout de suite beaucoup mieux la corrélation avec notre petite chandelle macabre.
Je vous laisse imaginer que la Main de Gloire n'est pas là uniquement pour faire chic sur la cheminée. Elle a en réalité un pouvoir puissant : une fois allumée, elle frappe de stupeur et d’engourdissements tous les occupants d’une maison. Ils ne se réveillent que si la flamme s’éteint. Je vous laisse imaginer que c’est franchement pratique pour les cambriolages.
Pratique pour les cambriolages, mais pas vraiment à se procurer ! La fabrication d'une main de gloire est un exercice long et fastidieux, dont on a la chance de connaitre encore les étapes aujourd'hui ! Permettez-moi de rentrer dans les détails.
Que sait-on vraiment des ces Mains de Gloire ?
On en a plusieurs descriptions et recettes de fabrication de Mains de Gloire grâce à un ouvrage aujourd’hui tombé dans l’oubli.
Cet ouvrage, c’est…. le Petit Albert (vendu avec son grand frère le Grand Albert), un grimoire magique du XVIIIeme siècle imprimé pour la première fois en 1668 en France, et largement agrémenté et réédité depuis. J’en parlerais sans doute plus en détail dans un autre article, parce que l’histoire de leur diffusion est passionnante ethnologiquement parlant. Pour l'heure, ne nous égarons pas !
Dans ces grimoires on trouve de tout : des recettes de cuisine en passant par la fabrication de crème pour les pieds, un almanach et des potions de fertilité. Les thèmes s’adressent à toutes les classes sociales, ce qui peut expliquer qu’au XVIIIeme donc, tout le monde en possède un exemplaire. A côté de ça, bah tout le monde est catholique, donc chacun s’indigne de son existence. Il faut comprendre que malgré son contenu et son appellation de « grimoire », ce n’est pas le sorcier qui possède ce livre mais bien Mr et Mme tout le monde, ce qui est d’autant plus étonnant que ces livres ne sont d’aucune utilité réelle car les recettes sont parfaitement impraticables comme nous allons le voir (même les recettes de cuisine qui nécessitent des ingrédients trop rares et coûteux).
Vous l’attendiez donc tous, voici la minute DIY, prenez des notes, parce que je vais maintenant vous raconter comment fabriquer cette Main de Gloire, grâce à l’édition du Petit Albert de 1751, consultable en ligne et dont vous pourrez retrouver le lien dans les sources.
L’auteur avoue ne jamais avoir vu la main en action, mais avoir assisté au jugement de 3 voleurs qui avaient admis sous la torture en avoir fait usage. Pendant ces « interrogatoires », on demandait aux voleurs comment ils avaient acquis la main et quel en était l’usage. Ce à quoi ils répondaient que l’usage de cette main était de stupéfier et rendre immobiles ceux à qui on la présente. Vous voyez, jusque là je ne vous ai pas menti.
« On la prépare de la manière suivante : on prend la main droite ou la gauche d’un pendu exposé sur les grands chemins, on l’enveloppe dans un morceau de drap mortuaire, dans lequel on la presse bien pour lui faire rendre le peu de sang qui pourroit être resté, puis on la met dans un vase de terre avec du Zimat, du Salpêtre, du Sel et du poivre long, le tout bien pulvérisé. On la laisse durant 15 jours dans ce pot, puis l’ayant tirée on l’expose au grand Soleil de la Canicule, jusqu’à ce qu’elle soit bien sèche ; et si le Soleil ne suffit pas, on la met dans un four qui soit chauffé avec de la fougère et de la Verveine. Puis on compose une espèce de chandelle avec de la grasse de pendu, de la Cire vierge et du sisame de Laponie ; et l’on se sert de cette main de gloire comme d’un chandelier, pour y tenir cette chandelle allumée, et dans tous les lieux où l’on va avec ce funeste instrument, ceux qui y sont demeurent immobiles. »
Dans d’autres traductions, on oint carrément les doigts de la main d’une « préparation magique », et ce sont eux qui servent de chandelle.
Je vous l'ai dis, c’est un peu la merde pour en obtenir une. Mais comme c’est encore plus la merde si quelqu’un se pointe dans votre baraque avec, on a quand même pensé à demandé aux voleurs ce qu’il était possible de faire pour se protéger de cet instrument maléfique ?
« La main de gloire devenoit sans effet et les voleurs ne pourroient s’en servir si l’on frottoit le seuil de la porte de la maison, ou les autres endroits par où ils peuvent entrer, avec un onguent composé de fiel de chat noir, de graisse de poule blanche, et du sang de chouette et qu’il falloit que cette confection fut faite dans le temps de la Canicule. »
Autant vous dire qu’avec l’énorme diffusion des petits et grands Albert, le concept séduit toute l’Europe dès le XVIIeme siècle (on en trouve des représentations sur différents tableaux, comme dans les œuvres de Pieter Bruegel l’Ancien ou encore chez des peintres Flamands). Le thème inspirera pendant encore trois siècles : Des poèmes et nouvelles du XIXeme l’évoquent, et on la retrouve aussi dans la culture populaire actuelle !
Quand je vous dis que vous avez surement déjà vu cet objet, c'est parce que je pense que vous êtes peu nombreux.ses à ne pas avoir vu ou lu Harry Potter et la Chambre des Secrets. Mais si, c'est assez bref, mais ça va vous revenir. Vous savez, c'est quand Harry se retrouve propulsé par accident dans l’Allée des Embrumes et se fait empoigner par une main momifiée. Dans les bouquins, Drago est même très intéressé par la main en question, ce dont le félicite le propriétaire de la boutique.
Il en est également mention dans la saison 2 de la série The Chilling Adventures of Sabrina, quand Nick dit qu’il a besoin d’une « main de gloire » pour pouvoir rentrer dans l’académie de magie (épisode 6), main qui sera donnée à Sabrina par sa tante.
De 1.50min à 2.10min, Harry a un petit "accrochage" avec une main de gloire.
Elles existent !
Et si vous pensez que ce ne sont que des légendes de campagne, et bien détrompez vous !
Une véritable main de gloire est conservée au Whitby Museum dans le North Yorkshire, en Angleterre, avec un texte publié dans un livre de 1823. Dans ce texte manuscrit, la façon de faire la Main de gloire est la suivante :Il doit être coupé du corps d'un criminel sur le gibet ; mariné dans du sel et de l'urine d'homme, de femme, de chien, de cheval et de jument ; fumé avec des herbes et du foin pendant un mois; suspendu à un chêne pendant trois nuits consécutives, puis posé à un carrefour, puis suspendu à une porte d'église pendant une nuit pendant que le fabricant veille sous le porche - "et si c'est cela, aucune peur ne vous a chassé du porche. .. alors la main soit vraie gagnée, et elle sera la vôtre"
La main en question a été retrouvée cachée dans le mur d’un cottage au début du 20ème siècle par un maçon (et historien local) Joseph Ford.
Sources :
- dictionnaire de l’occultisme et de la magie, Yvan Galikoff
- dictionnaire des sciences occultes, sous la direction de Frédéric Boutet
- Les secrets merveilleux de la magie naturelle du petit Albert : tirés de l'ouvrage latin intitulé: Alberti Parvi Lucii, Libellus de mirabilibus naturae arcanis, et d'autres ecrivains philosophes. Enrichis de figures mystérieuses, d'astrologie, physionomie, etc., etc
- Dictionnaire Infernal, Jacques Collin de Plancy
- Secrets merveilleux de la magie naturelle & cabalistique du Petit Albert, traduit exactement sur l'original latin, intitulé Alberti Parvi Lucii Libellus de mirabilibus naturæ arcanis .., édition de 1751, p132 à 134
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