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L'auberge rouge de Peyrebeille

J'ai eu la chance lors d'un long, long été de rôder en Ardèche et d'en découvrir les secrets. Mes chers amis, il est temps de vous en dire plus sur cette sordide affaire qu’est celle de l’auberge de Peyrebelle, plus connue sous le nom d’Auberge Rouge.


Notre histoire se passe à mi-chemin entre Aubenas et le Puy-en-Velay, dans une région appelée le Vivarais, qui était propice au passage de nombreux voyageurs et marchands.

Avant l'idée même d'une auberge, que dis-je, avant même la naissance de ses tenanciers, Louis XV semble déjà très “concerné” par la sécurité dans ce coin de la France un peu livré à lui même. Il dit que “Les habitants y gémissent sous l’oppression de brigandages et de forfaits de toutes natures”, et décide alors d’y construire une route pour rendre l’endroit un peu moins sauvage. C’est sur cette route que se trouvera plus tard notre Auberge.


“On tue un homme dans le Vivarais aussi tranquillement qu’un lièvre ou qu’une perdrix dans d’autres provinces” M. de la Chadenède en1765.

Ce n'est qu'en 1808 que Pierre Martin dit “le Blanc” et son épouse Marie Breysse s’installent à Peyrebeille en compagnie de leur domestique, Jean Rochette, affectueusement surnommé “Fétiche” (oui, il était noir. Oui, en 1808 en Ardèche le racisme ordinaire c'est ok). Ils ouvrent alors une auberge à Mazan, sur cette route sujette au passage. C’est Pierre Martin qui construira cette auberge de ses mains.


D’étranges rumeurs... Des rumeurs étranges circulent rapidement sur nos hôtes. A ce qu’on dit, “nulle âme fortunée ne sort vivant de l’auberge”, et les aubergistes tuent habillement chaque visiteur ayant eu le malheur de venter sa fortune... Seulement, les gendarmes sont tellement bien reçus par les braves gens de Peyrebeille, que leurs soupçons sur toutes ces disparitions mystérieuses sont systématiquement anéantis. Pour Pierre et Marie, c'est décidément une affaire qui roule. Le 12 octobre 1831, un paysan, Jean-Antoine Enjolras est aperçu devant l’auberge. Jusque là, rien d’anormal, puisque c’est une auberge, et qu'il entendait y passer la nuit. Bien reçu par ses hôtes, il commence à parler de l’excellent déroulement de ses affaires, mais également de l’or qui lui reste encore dans les poches. Vilain défaut que l'orgueil, car le bougre devient malheureusement très intéressant pour nos aubergistes. Le 26 octobre suivant, on retrouvera au bas d’une falaise (à une dizaine de kilomètres de l’auberge) un corps décomposé : celui d’Enjolras.


L’enquête

Inquiets de la disparition de leur oncle, les neveux d’Enjolras se mettent à sa recherche, et confirment sa présence à l’auberge ce soir là : une enquête est alors ouverte.


Bien qu’il puisse être prouvé que le défunt se soit bien rendu à l’auberge avant sa mort, lors des interrogatoires, Martin nie avoir jamais rencontré cet homme. Les choses deviennent encore plus suspecte lorsque, durant la nuit qui suit la visite du juge, un paysan croise en rentrant du marché un homme, tirant un mulet, et reconnait sur celui-ci la forme rigide d’un cadavre dans un sac en toile. Quand il essaie de demander ce que contient le paquet, on lui répond immédiatement “Garde ta langue si tu tiens longtemps à manger du pain”.

Il réussi à s’enfuir, mais la rumeur raconte qu’il serait par la suite mort de peur et qu'il aurait fait cette confidence sur son lit de mort, en dénonçant Pierre Martin et Fétiche comme conducteurs de l’âne (si on peut dire qu’on conduit un âne).

C’est à ce moment là que la roue tourne pour les aubergistes. Ils seront alors enfermés durant de long mois avant d’être traduits en cour d’assise à Privas. La nouvelle de l’arrestation se répand, et de nombreux témoins se manifestent, apparemment plus d’une centaine, le tout dans une sorte d’hystérie collective. Le dossier de ces dénonciations disparaîtra mystérieusement lors de son transfert à Privas, et ne sera jamais retrouvé. La seule inculpation pour meurtre concernera celui d’Enjolras. Le procès commence en 1833 et les accusés n’avouent jamais rien de toutes les accusations contre eux.109 témoins sont appelés à la barre, et 17 seulement assurent l’honorabilité de nos trois condamnés. En revanche, le notaire ayant fait l’état des lieux de l’auberge tient un tout autre discours...


“[...] chaque coin, chaque place, me paraissait avoir été témoin d’un meurtre. [...] la table d’où les voyageurs n’étaient enlevés qu’après avoir été ébouillantés et massacrés ; cette cheminée, dis-je, où l’un des témoins crut reconnaître dans une marmite les membres encore palpitants d’un être humain.”

Autant vous dire que les témoignages furent plus loufoques les uns que les autres, disant à la fois tout et rien, changeant de version d’un entretient à l’autre. Le contexte de l’époque et le fait que le couple se veuille ultra royaliste n’a surement pas aidé à la masse d’accusations contre eux, et il ne faut pas oublier que la plupart de ces témoignages devaient être motivés par d’autres raisons que celle de vouloir rendre justice.


Intérieur actuel de l'auberge. Un diorama bien sexy.

La sentence C’est Chaze, un mendiant et témoin de dernière minute qui deviendra “celui qui a fait punir les assassins de Peyrebeille”. Il raconte que le 12 octobre, il arrive à l’auberge et demande l’hospitalité. La femme Martin lui répond qu’il doit partir chercher gîte ailleurs (parce que c'est vraiment un gueux et qu'on aura bien compris qu'ils préfèrent les bourgeois), mais accepte de le laisser entrer pour se restaurer. Il discute alors avec un homme, qu’il saura plus tard être Enjolras. Mais refusant de se laisser prendre de haut et surtout de passer la nuit dehors, Chaze se rend discrètement dans la grange lorsqu’il est poussé à partir à l’heure du coucher. Il entend alors toute la scène : les deux hommes se jeter sur Enjolras, et lui fracasser le crâne d’un coup de marteau au milieu des cris de douleur. Il entendra par la suite dire dans la cuisine : “cette nuit, nous avons fait cent écus” avant de s’enfuir et de conter son histoire. Après ce récit, la condamnation à mort des aubergistes et de leur servant est prononcée. Le roi Louis-Philippe, désireux de faire un bel exemple de ces malfrats sur cette terre “d’anarchie” et ainsi d’y faire régner l’ordre, refusera donc de faire passer cette peine de mort en une punition plus douce. Le 1er octobre 1833, à 5h du matin, on transporte Pierre, Marie et le pauvre Fétiche sur une charrette jusque sur le lieu de l’exécution : leur propre auberge. Tout le voisinage se poste sur la route pour voir passer le cortège, et faire ce qu’une foule fait de mieux (ai-je vraiment besoin de le décrire ?).

Le lendemain, ils arrivent enfin à l’auberge où tout le monde s’est déjà installé avec son petit encas pour assister au spectacle. Alors que Marie Breysse monte l’échafaud, elle crache sur le crucifix qu’on lui présente. Fétiche, lui, après avoir donné son manteau à présent inutile à un pauvre, s’écrie : “maudits maîtres ! que m’avez vous fait faire !”. Une fois chaque tête tranchée, on démonte la guillotine, et une fête se déroule toute la nuit sur le lieu de justice. En tout, le couple Martin restera 26 ans à l’auberge. Durant ce laps de temps, 53 personnes furent portées disparues. Après l’exécution, tout rentra subitement dans l’ordre.


Aujourd’hui, une pierre marque toujours l’emplacement de la guillotine devant l’auberge. Celle-ci peut être visitée, et je vous le conseille, car l’immersion est proche d’une maison hantée une fois à l’intérieur. Les meubles et boiseries sont d’époque, on peut même y observer le “trou” dans la porte qui servait à Marie pour entendre les conversation de ses riches clients. On vous y explique également les méthodes employées par les aubergistes pour tuer leurs victimes, ainsi que les caches prévues pour les corps en attendant de pouvoir s’en débarrasser définitivement. Le musée Crozatier du Puy conserve quant à lui les masques mortuaires de nos protagonistes. Deux films ont été réalisés à partir de cette histoire, notamment un avec Fernandel en personnage principal.


Si vous êtes de passage en Ardèche et souffrez de la canicule, pensez à vous mettre au frais dans les montagnes, et n’oubliez pas de passer voir nos aubergistes.

Sources L’histoire de l’Auberge de Peyrebelle, Jean Louis Rocher, 2009 Visite de l’Auberge Rouge, Juillet 2018 https://fr.wikipedia.org/wiki/Auberge_de_Peyrebeille

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